«La nuit était sombre ; il n'y avait pas d'éclairage ou de signalisation sur le bas-côté, ni de ligne de dépassement ni de parapets. Rien que la chaussée noire défilant à travers un paysage de plaines, cerné au loin par des collines et ponctué de cheminées d'usines, de tours, de fumées et de lumières multicolores. Ce trajet en voiture fut pour moi une révélation. La route et une grande partie du paysage étaient artificiels ; on ne pouvait cependant les qualifier d'œuvres d'art. D'autre part, ce parcours fit pour moi ce que l'art n'avait jamais fait. Ce que je ne pus tout d'abord nommer eut ensuite pour effet de me libérer de nombre d'opinions que j'avais sur l'art. Il semble qu'il y ait eu là une réalité que l'art n'avait jamais exprimée. L'expérience que j'avais vécue sur la route, pour précise qu'elle fût, n'était pas reconnue socialement. Je pensais en moi-même : "Il est clair que c'est la fin de l'art".»
Tony Smith, 1966
Réparer l'urbanisme des années 60 relève de l'héroïsme, à l'heure où le gouvernement veut faire imploser 15000 logements par an, et quand la réhabilitation a montré ses limites dans les années 80 et 90.
Le paysagiste, qu'on prend souvent pour un artiste / jardinier, jouit d'un capital sympathie énorme, tandis que le crédit des architectes a subit de plein fouet le rejet unanime des barres HLM et du style béton, qui resteront bien après que la dernière tour soit anéantie le fantôme qui hantera tous les constructeurs. Mettre du vert dans la ville serait la parade implacable, et les paysagistes revendiquent (entre eux) une pensée globale, contre une pensée de l'objet (qui serait propre à l'architecture). Le rôle du paysagiste, médiateur humain à la main verte, peut donc apparaître légitime aux yeux de l'opinion publique, dans le sauvetage des opérations urbaines violentes : cités-dortoirs, villes nouvelles, urbanisme de tour et de dalle, et bientôt friches pavillonnaires et de ZAC.
Parmi celle-ci, l'opération Front de Seine sur la rive gauche, dans le quinzième arrondissement, imaginée pendant une charrette de quinze jours en 1959, par Lopez et Potier, architectes, est le cas d'École de l'échec de l'urbanisme de dalle, épisode ultra bref dans l'histoire de l'architecture moderne. L'idée était pourtant généreuse : offrir à 6000 employés de bureau et à 6000 habitants un vaste espace collectif, quartier humain et hygiénique en lévitation à 6m au-dessus des automobiles, avec à la clef petits commerces et décors ct-photo-singlehédéliques : la dalle Beaugrenelle.
Les principes constructifs élémentaires sont l'application littérale de la Charte d'Athènes (Le Corbusier 1936) : séparation des flux, dégagement du sol. Mais avec une variante. Là où la cité radieuse et ses sœurs jumelles se dressent sur pilotis, ici les tours sont resserrées sur les cinq premiers étages, de manière à réduire l'emprise au sol de 30 à 50%. On donnera à cet argument idéologique la formule élégante de taille de guêpe. Il en résulte une conséquence heureuse. Ce décrochement systématique donne lieu à des dissociations de matériaux. La façade, qu'on ne voit que de loin, jamais ne tombe à pic sur le sol, et les halls des tours sont décorés de bas reliefs abstraits, ou de mosaïques à motifs dont les années soixante et soixante-dix avaient le secret. La taille de guêpe résout une des difficultés récurrentes de l'architecture : les pieds d'immeubles. Les pieds d’immeubles posent toujours aux architectes de gros problèmes. Le principe de la taille de guêpe, même si ce n’est pas son but, pallie à cette difficulté en dissociant la matière de la façade de celle du ‘rez-de-dalle’, qui donne lieu à des décorations cinétiques et des habillages en relief.
La taille de guêpe nous épargne le contact direct des façades, des bardages aluminiums, du crépis, des fenêtres-miroirs. Elle instaure une distance, et cette distance est aussi une politesse envers les habitants des premiers étages.
Trente ans plus tard, les commerces ont disparu, les résidents ne transitent plus par la dalle mais empruntent les ascenseurs qui les conduisent directement jusqu'à l'extension de l'appartement : la voiture. La dalle est désertée, et les tours se bricolent des entrées au niveau du trottoir, bien que la rue n'offre en guise de vitrine qu’une succession d’aérations et de places de parking sur plusieurs centaines de mètres.
Beaugrenelle doit figurer en bonne place au rang des quartiers les plus méprisés de Paris, et pourtant les parisiens ne sont pas nombreux à y avoir mis les pieds.
Malgré les conditions de vie étranges offertes par cet urbanisme : rafales de vent permanentes au pied des tours, fenêtres des appartements condamnées, transitions interminables entre l'espace privé et l'espace public, charges collectives décourageantes, le front de Seine a encore un bel avenir.
Le rôle du paysagiste est alors celui d'un directeur artistique : anticiper.
Anticiper, c'est remarquer que la clientèle des immeubles de grande hauteur (I.G.H.) est en train d'évoluer. Habiter dans une tour devient un choix stylistique, et les artistes et les architectes sont les premiers à faire le choix du point de vue imprenable. Suivant l'adage ce qui est rare est cher, on risque d'assister au fur et à mesure que le rejet populaire des I.G.H. se concrétise par leur destruction à un regain d'intérêt pour les tours de la part des plus chics d'entre nous.
L'architecture du mouvement moderne, qui a essuyé les pires affronts, revient en force dans l'imagerie publicitaire, et la culture kitsch s'en empare. Finalement le public pourrait se retrouver dans la même situation devant une grande barre que devant un vieux tube (disco) ne plus savoir si on aime ou si on se moque. L'adjectif cool, qui n'a aucun sens en architecture, pourrait s'appliquer à l'univers délirant et bariolé de la dalle Beaugrenelle.
Fatalement, ce sont les opérations les plus soignées qui resteront le plus longtemps debout, et on oubliera rapidement les 4000 de la Courneuve, la barre Rodin et autres cités-dortoirs pour travailleurs sans emploi. En revanche, Beaugrenelle, la Défense, l’hôtel Concorde, les tours du quartier Massena, celles de Bercy seront historiques et visités.
Le général de Gaulle devant la maquette du Front de Seine à l’occasion d’une exposition des grands projets d’urbanisme initiés par le gouvernement.
L’opération Front de Seine, qui couvre plus de 17 ha, est conçue dès 1959 par Henry Pottier et Raymond Lopez, pendant une charrette de 15 jours. Le premier coup de pioche à lieu en 1967 et le chantier s’achève à la fin des années 80. Le montant final de l’opération atteint 937 millions de francs.
Le jardin Atlantique a démontré qu’un espace sur dalle complètement isolé et difficile d’accès n’était pas condamné à la désertion. De plus, la hardiesse des concepteurs nous laisse devant une esthétique délirante, proche du kitsch (selon la définition de Kundera, entre le temps où c’est démodé et le temps où c’est oublié), avec laquelle il faudra à un moment ou à un autre composer. Il se pourrait même que celle-ci devienne l’atout majeur de cet espace.
La carte des hauteurs de Paris et celle de sa géographie nous montrent que les tours de grandes hauteurs du Front de Seine se détachent sur la plaine de Grenelle, basse à la fois en altitude et en hauteurs d’immeubles.
La plaine de Grenelle s’étend depuis la rue Lecourbe (ancien chemin de Sèvres) jusqu’à la Seine. Ainsi les tours sont visibles de tous les points hauts de l’Ouest parisien (St-Cloud, Chaillot).
Si on peut voir plus de la moitié de la tour Eiffel, on voit également les tours de Beaugrenelle et, en tous cas, la cheminée de chauffage urbain (130 m) qui domine le 15ème arrondissement.
Il existe une rumeur au sujet de la conception du projet (1959). Apparemment, le principe de la taille de guêpe serait survenu autant d’un accident de maquette que des principes de la charte d’Athènes : pour des facilités de confection, les tours en modèle réduit étaient encastrées dans la dalle en carton, à la manière d’un jeu de reconnaissance de formes pour bébés. C’est paraît-il cette astuce, au départ invisible, qui a donné lieu à l’idée maîtresse du projet.
La vue éclatée ci-dessus témoigne du découpage horizontal des fonctions par strates : séparation des flux et séparation des personnes, puisqu’il n’y a pas de rue.
Les raccords peuvent être violents entre l’urbanisme du Front de Seine et un habitat plus classique. De cette juxtaposition brutale naît un contraste qui vient renforcer l’identification des quartiers limitrophes.
Parmi ceux-ci, on remarque :
Le choix lucide entre ces deux options est extrêmement difficile à justifier. Il évolue de manière collective, suivant les modes, et relève d’une attitude face à l’histoire.
À titre de comparaison, l’emprise du bâti dans l’urbanisme classique se situe autour de 40 % de la surface au sol, tandis qu’elle dépasse à peine 10 % à Beaugrenelle, et ceci grâce au relatif écartement des tours, ainsi qu’au principe de la taille de guêpe.
Mais il ne suffit pas de libérer le sol pour susciter du passage.
Tout porte à croire, à l’inverse, que la quantité d’espace libre accentue la dilution des parcours, et donne de fait le sentiment du vide, ou en tout cas celui d’une faible densité. Ici, on ne parle plus d’habitant au m2, mais de 10 m2 par habitant. Pourtant, l’activité à Beaugrenelle est bien réelle, puisqu’aux 5 000 personnes qui y vivent viennent s’ajouter les 6 000 qui en y travaillant quotidiennement viennent assurer un flux journalier de déplacements à la surface de la dalle.
Une autre question importante est la présence potentielle de milliers d’yeux dans les tours, rivés sur le visiteur, sans compter les dizaines de caméras de vidéo-surveillance qui garantissent aux parkings une sécurité record.
Le propre de l’espace collectif, en théorie, c’est aussi qu’on s’y sente chez quelqu’un d’autre, dès lors qu’on ne fait pas partie de la fête.
Mais fondamentalement, et ceci grâce à la morphologie des tours, à savoir la taille de guêpe, on ne voit pas chez les gens, on voit juste à travers leurs halls d’immeubles, et les appartements susceptibles d’espionner de haut les passants sont trop élevés pour voir autre chose que de (minuscules) passants. Il n’existe pas de proximité, de promiscuité entre les passants et les habitants. En cela aussi, les conditions diffèrent de celles de l’espace haussmannien, qui crée du vis-à-vis et expose l’intérieur des appartements des rez-de-chaussée à la vue de tous. Ceci au contraire de beaucoup d’immeubles anglo-saxons, qui mettent le niveau du trottoir à mi-hauteur entre le rez-de-chaussée (first floor) et la cave (basement).
La dalle se veut une plate-forme offrant des conditions privilégiées à ses habitants. Un espace collectif détaché du sol et des contraintes qui lui sont associées, principalement liées à la circulation automobile, mais aussi à l’insécurité. Elle est sensée offrir le confort et aussi une vie de quartier avec à la clef petits commerces et échanges de bon voisinage.
Plus concrètement, la dalle présente certaines particularités, des choses toutes simples qui la différencient de l’espace public traditionnel.
Entièrement inaccessible aux automobiles, tous les travaux d’entretien, de gestion et d’aménagements se font un peu à la main. Les véhicules les plus larges sont des brouettes.
Les jardinières sont de taille très réduite, car elles ont été portées par des ouvriers et non par des fenwicks.
La présence de tout objet encombrant, comme une voiture ou une maison, rompt avec la logique générale qui veut faire de la dalle un grand living-room. D’un certain point de vue la dalle est une question d’architecture d’intérieur. L’idéal de l'espace urbain, c’est toujours un peu le salon.
On peut d’ailleurs imaginer donner un nom d’équipement ménager, de maçonnerie intérieure ou de mobilier à tout ce qui constitue le paysage de la dalle. Alors la taille de guêpe devient une plinthe (en négatif), les jardinières sont des pots de fleurs, les arbustes sont des plantes vertes (persistantes, bien entendu), le gazon est une moquette, le sol est un carrelage et les tours recouvertes de papier peint (à motifs).
Du coup, la dalle est extrêmement sensible aux dégradations. Elle ne tolère aucun raté, aucun déchet d’animaux ou d’humain laissé au sol, rien qui ne la replace dans sa triste condition d’espace extérieur, ou alors c’est tout le système qui est touché, le confort de la dalle qui est mis en déroute.
Une curiosité : à l’occasion d’une réparation, des ouvriers ont monté pendant la durée des travaux une baraque de chantier. Ce petit morceau d’architecture éphémère est venu s’emboîter sous un immeuble de bureaux avec une certaine élégance. Dans un autre lieu, on aurait installé une caravane/container blindé, mais la dalle Beaugrenelle est inaccessible en voiture, et les lieux sont beaucoup plus sûrs que la moyenne à Paris.
Un projet de paysage à Beaugrenelle ne peut être honnête que si on continue à faire le pari de son architecture, c’est-à-dire celui de l’urbanisme de dalle.
Le rôle du paysagiste est alors d’agir à la manière d’un conseiller en communication.
La SEMEA XV est responsable d’un projet qui fut controversé à son époque, mais qui est désormais rangé au rayon échec dans les tiroirs de l’architecture moderne.
Par un travail qui tâche de définir et de prendre en compte une ct-photo-singlehologie collective relative à l’espace public, un paysagiste peu modifier non pas seulement un espace, mais le regard qu’on porte sur lui (c’est-à-dire le paysage).
La connotation ‘projet raté des années 60’ dont souffre la dalle Beaugrenelle peut être transformée en atout. Le projet, c’est aussi d’imaginer que l’adjectif cool, qui ne s’emploie généralement pas pour décrire des espaces, pourrait s’appliquer à un site ultra référencé, presque caricatural, mais qui témoigne d’une époque récente, à défaut de raconter une géographie ou une histoire ancienne.
Il faut croire que le second degré peut jouer un rôle dans l’espace public. Le modernisme, quasi mystifié dans l’art contemporain, sera réhabilité en architecture.
Le but du projet n’est pas de transformer un projet raté des années 60 en un projet raté des années 2000, mais d’insuffler le dynamisme qui fait défaut à ce projet moderne pour qu’il soit apprécié en tant que tel, et d’opérer une sensibilisation à l’esthétique de la dalle.
De part sa fréquentation réelle (faible), et son emplacement (stratégique), on peut estimer que la dalle est perçue très majoritairement depuis l’extérieur. L’extérieur visible de la dalle, c’est sa tranche, mince de 2 m en comptant son garde-corps. Le fait de plier la dalle, de courber ses franges vers le bas peut lui donner l’épaisseur qui lui fait défaut.
Beaugrenelle, c’est l’application littérale de la rationalisation/séparation des flux. Or curieusement, son architecture n’exprime jamais le mouvement, elle exprime au contraire l’équilibre (taille de guêpe), la stabilité (gabarits de hauteurs), et l’horizontalité (mille-feuilles), le tout sur un monumental piédestal (dalle).
Les grandes façades de verre de la Défense ont, quant à elles, au moins le mérite de renvoyer l’image de leur contexte (ciel et tours), et de faire glisser cette image sur leur surface en même temps que le spectateur se déplace, d’où un certain dynamisme.
L’allée des Cygnes, qui partage le lit de la Seine en deux bras équivalents, a aussi pour effet de réduire considérablement la portion du fleuve visible depuis le bord de la dalle. En réalité, elle la divise par 3.
On voit aussi que le quai se compose lui-même de 2 étages. À cause de la ligne de chemin de fer (Paris-Versailles), la voie rapide n’a pu se loger sur le quai inférieur, comme elle le fait ailleurs dès qu’elle le peut. L’hypothèse de travail est que le quai de Grenelle ne sera pas recouvert, même si la politique automobile à Paris (faire de la Seine une autoroute à ciel ouvert) risque de ne pas être éternelle.
La plupart des projets concernant la dalle se concentrent sur sa partie Front de Seine. Le projet d’origine prévoyait une série de grandes terrasses jardinées qui descendaient jusqu’au fleuve.
Ces terrasses sont un compromis. Elles prolongent la logique de la dalle, en la fragmentant et l’abaissant discrètement jusqu’à la faire se frotter sur le sol véritable.
Mais une autre méthode pourrait consister à carrément plier la dalle, et la faire échapper à sa nature purement horizontale, qui conditionne un espace complètement abstrait et coupé de son contexte.
Il s’avère que l’esthétique de la dalle s’est constituée d’après l’esthétique des bateaux (pont et dalle se traduisent par deck). Imaginer que la dalle s’écroule, se plie, se gonfle ou se torde, c’est dessiner une catastrophe (tremblement d’architecture). Dessiner la fin de la dalle, dans le sens terminer un projet inachevé, c’est aussi achever le projet, dans le sens mettre en scène son naufrage, et peut-être par là même désamorcer l’échec programmé du projet.
Le sol naturel n’est pas une altitude d’origine, mais c’est un sol qui pousse et qui s’écroule.
L’urbanisme de dalle est un feuilleton très bref dans l’histoire de l’architecture moderne. Il n’en existe d'ailleurs que très peu d’exemples, la plupart en Europe.
On a très vite compris les limites de cette utopie (fantasme abstrait d’architecture), reniée par la profession, et décevante pour le public. Après la Défense, on ne construira plus de dalle en tant que telle (revendiquée).
Si le principe de base de cette architecture est périmé (rejet de la dalle), on est tenté de la faire passer pour ce qu’elle n’est pas : un sol ou un toit.
Cette hypocrisie est assez risquée, car l’architecture et l’espace public sont conditionnés par ce qu’on peut appeler un principe de réalité, qui fait qu’on pourra difficilement faire passer un espace pour ce qu’il n’est pas. De même, la pérennité de la matière architecturale engendre des salissures, usures, et dégradations assez cruelles envers l’abstraction. C’est ce qui pousse, à juste titre, certains concepteurs à toujours préférer les matériaux massifs et de qualité plutôt que les matériaux de parements et à ne pas cacher les détails techniques...
En revanche, il faut croire que l’ambivalence peut être source de poésie, et que si l’on ne peut pas parvenir à faire passer une dalle pour un sol ou pour un toit, on peut lui donner les attributs d’un sol et ceux d’un toit, et ainsi traduire avec justesse l’état entre-deux de la dalle.
Dans le détail, le passage entre la dalle et le quai de Grenelle s’établit par une frange d’une trentaine de mètres comprenant une plate-bande et une contre-allée.
Qu’est-ce-qui justifie ce petit grillage, alors que le double trottoir de sécurité, large de 50 cm, n’est jamais emprunté ? Sur d’autres sections de la voie rapide, autant rive gauche que rive droite, le flux automobile n’interdit pas forcément de constituer un véritable trottoir praticable.
La contre-allée ne parvient pas à créer un espace équitable face à la dalle, 6 m plus haut. Les quelques entrées d’immeubles parmi les sorties de parkings ne parviennent pas à en faire véritablement une rue. Elle n’a rien à voir avec son modèle, celle de l’avenue Foch, qui offre une véritable alternative à la voie principale.
Cet aménagement privé, sensé marquer l’entrée de la tour Perspective au niveau rue, préfigure un projet plus global de raccord entre la dalle et la rue, qui résoudrait d’un coup les deux passages (quai de Grenelle/espace vert et espace vert/dalle).
L’exemple du bâtiment du journal Libération, dont les parkings ont été transformés en bureaux, allant jusqu’à faire l’architecture intérieure des rampes d’accès voitures, montre qu’il est possible d’envisager la conversion en bureaux ou ateliers d’une partie des parkings (en surnombre) sous la dalle. Dans ce cas, la signalisation de ces bureaux sous les pieds des passants (verrières, trappes, escaliers...) donne les attributs d’un toit, et par là même justifie la faible fréquentation de la dalle. On rencontre peu de gens sur un toit, mais on imagine qu’il se passe des tas de choses en dessous, des gens qui travaillent et qui parlent.
Le mot hors-sol est quasiment une insulte. Il désigne aussi la sensation de la dalle. Le quartier Beaugrenelle est irrémédiablement hors-sol. À l’inverse, si on essaye de tout faire pour que ça paraisse vrai (un vrai sol relié à la terre), on n’y croira pas une seconde.
L’ambivalence nous permet d’échapper à cette impasse, en laissant supposer qu’on est en même temps sur un sol mou (naturel) et sur un sol dur, en même temps sous des tours et sur un toit, et peut-être de répondre avec finesse à une situation inextricable : par un paradoxe supplémentaire.
profil du raccord entre la dalle et le quai de Grenelle. Dans ce cas, il y a principalement deux attitudes possibles, qui reviennent à considérer l’ouvrage dalle soit comme un bâtiment soit comme un sol.
a première option conduit à greffer devant la dalle une construction qui offre à la rue une vraie façade, et qui camoufle la fin de la dalle en immeuble. Dans ce cas, la dalle disparaît de la vue des passants, et la construction constitue une barrière supplémentaire au bord de la dalle. C’est le configuration retenue aux Orgues de Flandre, dans la 19ème arrondissement.
Cette solution revient à construire un front bâti de 2 étages devant le Front de Seine, qui étend la dalle vers le quai, et à renoncer à rendre la dalle plus visible et plus accessible qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Cette zone franche 1 est desservie par une contre-allée classique.
La deuxième solution conduit à forcer la dalle à se mettre au niveau du sol, ce qui théoriquement donne lieu à un glacis à 15 %. L’image ci-dessus montre un résultat possible pour cette opération.
Cet espace en pente serait en mesure d’accueillir une promenade en longueur, voire un jardin, mais n’établit pas de rapport urbain avec la voie : il éloigne la dalle, autant visuellement que physiquement, en remplaçant des escaliers et des rampes par un talus, qui s’apparente depuis la voie à un talus autoroutier.
Clément Willemin (baseland.fr)
Photographies : Tadayoshi Nakamura, reproduction interdite sans accord.
BEAUGRENELLE urbanisme de dalle et paysage, travail personnel de fin d’études, juin 2000, encadrant : Jacques Coulon. Texte reproduit avec l'accord de l'auteur, Clément Willemin, que je remercie.